Le scarabée de Wittgenstein

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 L’article « le scarabée de Wittgenstein » peut désormais être lu sur la nouvelle version du site : ICI.

18 Responses to Le scarabée de Wittgenstein

  1. Bonjour,

    Le problème ne concerne donc pas l’objet « le scarabée » mais la manière dont le désigons. Ainsi, nous pourrions tenter d’identifier des « significations mentales » en étudiant la relation qui lie un mot, un geste à son expression. Ainsi, je pourrais faire une grimace pour signifier la douleur, ou utiliser un mot approrprié, qui constituerait un « jeu de langage ». Mais le problème est alors d’identifier l’extension de ce jeu de langage.
    Ne pourrait-on pas faire une différence entre une « expérience privée » à la première personne et une expérience externe ? Comment nous y prenons-nous pour parler de la couleur verte , Sans doute faut-il admettre qu’il n’y a pas d’expérience spécifique car cela signifierait que l’esprit est une sorte de boîte magique. Et en effet, nos pensées ne sont pas contenues dans une boîte; sinon il suffirait d’ouvrir tel compartiment et d’avoir la description appropriée de tel état mental.

  2. loic dit :

    ton scarabé me fait penser au chat de schrodinger:
    En 1935, Schrödinger imagine le paradoxe du chat, qui met en évidence la fracture existant entre le monde quantique (où un objet peut se trouver dans plusieurs états à la fois) et le monde macroscopique (déterministe).extrait de wikipedia

    serait ce là de la philo quantique ?

  3. LEMOINE dit :

    N’est-ce pas une première version de « l’argument du Putman » ?
    Et tout cela ne se réduit-il pas à un très long et difficile détour pour revenir au sens commun c’est-à-dire à ce que tout le monde sait : les états psychologiques ne peuvent être compris que si on admet qu’ils trouvent leur sens dans la relation à un monde humain et commun ou plus simplement, comme je l’écrivais dans mon premier commentaire sur le site de Denis Collin, s’ils sont communicables. Ce que vous appelez, si je vous ai compris, la thèse de « l’externalité de l’esprit ».

  4. Francois Loth dit :

    Réponse à Laurence.

    Ce qui se trouve dans la boîte ne jouera aucun rôle dans la communication entre les personnes. Ainsi lorsque nous attribuons une croyance par exemple à quelqu’un, nous ne sommes pas en train de dire qu’il est dans un état mental particulier. A la place nous caractérisons la personne en termes de ce qu’elle pourrait accomplir dans certaines situations.

    Vous pointez immédiatement la difficulté qu’une telle thèse béhavioriste ne manque pas de soulever si elle était utilisée dans une théorie psychologique : l’exclusion des états de conscience.

    Nous apprenons en effet à décrire les qualités de nos états de conscience en référence à des objets que nous pouvons observer à la troisième personne. Ainsi, cela laisse ouverte la possibilité que les états auxquels ces descriptions s’appliquent soient qualitativement différents.

    Devons-nous admettre pour autant qu’il n’y a pas d’expérience spécifique comme vous semblez le préconiser ?

    En répondant par l’affirmative à cette question nous dirions alors que les états d’esprits « en tant qu’états d’esprits » n’ont pas de nature qualitative intrinsèque. Le scarabée de Wittgenstein possède une nature intrinsèque, mais cette nature ou caractéristique intrinsèque n’est d’aucune pertinence.

    Peut-on étendre cette conclusion à nos états mentaux ? Votre mal de tête n’a-t-il pas une caractéristique intrinsèque ? Cette caractéristique intrinsèque de votre mal de tête ne forme-t-elle pas une part importante de ce qui fait de votre mal de tête, un mal de tête ?

  5. Francois Loth dit :

    Réponse à Loïc.

    L’expérience du chat de Shhrödinger veut mettre en évidence ce qui sépare le monde quantique du monde des objets ordinaires, de taille moyennne pourrions-nous dire, de nos perceptions.

    Le scarabée de Wittgenstein évoque nos états mentaux dans un objectif de rupture avec la vision cartésienne qui affirme que nous avons un accès privé à nos expériences de conscience.

    L’expérience du chat de Schödinger évoque les particules infinitésimales qui pourraient avoir un comportement défiant la logique de nos observations : le chat pourrait être mort et vivant ! Ce serait incohérent.

    Dans l’expérience de Wittgenstein, la possession du scarabée en tant que scarabée n’est pas frappé d’incohérence, mais la relation que nous avons à ce scarabée n’a, selon Wittgenstein, aucune importance.

  6. Francois Loth dit :

    Réponse à Mr Lemoine.

    L’argument externaliste de Putnam concerne le caractère externe de nos pensées. En gros, nos pensées ne surviennent pas sur nos états internes. Putnam montre cela à travers la célèbre expérience de pensée de Terre Jumelle, planète quasiment identique à la Terre et sur laquelle, votre double physiquement indiscernable de vous, posséderait des pensées différentes. Conclusion : si deux personnes physiquement identiques, à la molécule près, peuvent avoir des pensées différentes, celles-ci ne peuvent pas être entièrement internes.

    Néanmoins, je me demande bien ce qu’est le sens commun au sujet des états psychologiques. Dire que les pensées sont essentiellement des entités communicables, c’est-à-dire des entités du langage qui seraient constitués essentiellement par des éléments externes, ne revient-il pas à extruder la tête du sujet dans le monde et cette extrusion n’est-elle pas sans limite ?

    On pourrait penser, n’est-ce pas une autre sorte de sens commun, que nos états mentaux sont entièrement internes mais que leurs spécifications ne peuvent être que relationnelles. Ainsi, les pensées peuvent être des états neuraux ou autres états physiques internes alors que les contenus mentaux, contenus linguistiques dotés de propriétés sémantiques, seraient le moyen que nous avons de les spécifier.

  7. Bonjour,

    Merci de votre réponse. Je veux défendre deux idées simples:
    a) si les états mentaux ne sont pas des atomes, alors nos descriptions ne visent pas un objet particulier. Donc l’idée du holisme du mental semble s’imposer.
    b) il existe sans doute des expériences privées spécifiques; mais la question que je me pose est de savoir comment nous pouvons les décrire. Car nous avons appris à manifester nos émotions par des jeux de langage. Qu’est-ce qui peut m’assurer de la traduction des mes états mentaux dans un autre langage ? La grammaire, dirait Wittgenstein, à condition que ses règles soient souples. Mais est-ce que la connaissance des jeux de langage permettrait d’identifier les états mentaux pertinents ? Sans doute, je me réfère à Davidson quant à la question de l’identification.

  8. Francois Loth dit :

    réponse à Laurence.

    Bonjour,

    Il est vrai que la position de Davidson pour qui holisme et rationalité sont constitutifs du mental est une position qui découple le mental du physique et qui par conséquent, ontologiquement parlant, est une position qu’il m’est difficile d’accepter.

    Les investigations du langage ne permettent pas de découper la réalité. Imposer le holisme du mental, comme vous dites, revient à défendre un matérialisme non réductible qui métaphysiquement est une position très instable. Cette position par exemple ne permet pas de faire un compte-rendu cohérent de la causalité mentale.

    Peut-être pensez-vous que la métaphysique de la causalité ne concerne pas le mental ? Que le mental doit avoir un rôle explicatif en dehors de la causalité ?

    Je peux décrire me semble-t-il, les états mentaux au moyen des contenus propositionnels par exemple. Cependant, la possession par un agent d’attitudes propositionnelles dépendra de l’interprétation d’une communauté d’interprètes. Davidson a souligné le rôle des attitudes propositionnelles comme explicatives des actions en termes de raisons et les raisons seraient des causes.

    Si les raisons sont des causes, je ne pense que cela puisse être du aux attributions des raisons. Les raisons peuvent sélectionner le mécanisme causal qui est responsable de ce que l’on fait, mais elles ne peuvent pas être des causes. Ce que l’on fait dépend du caractère dispositionnel de notre corps et de notre système nerveux.

    Quant à l’étendue de l’enquête davidsonienne, elle semble restreinte aux seules attitudes propositionnelles. Notre vie mentale est sans aucun doute plus riche.

  9. Serge Adam dit :

    Bonjour monsieur Loth,
    vous pardonnerez, j’espère, la nature néophyte de ma question.
    Pouvez-vous répondre à la question que vous posez: « Votre mal de tête n’a-t-il pas une caractéristique intrinsèque ? Cette caractéristique intrinsèque de votre mal de tête ne forme-t-elle pas une part importante de ce qui fait de votre mal de tête, un mal de tête ? »

    J’ai découvert ce blog cette nuit et j’en suis absolument captivé!

  10. Francois Loth dit :

    Disons, que ce qui fait essentiellement d’un état comme un mal de tête, ce mal de tête est un état de conscience particulier que je suis le seul à ressentir. La douleur n’existe donc que comme une conscience de la douleur. Si une lecture sophistiquée de l’état de mon cerveau au moment précis où j’ai mal à la tête, permettait à un neurobiologiste de détecter certaines conditions de mon mal de tête, cela ne lui donnerait aucun renseignement sur ma douleur. La connaissance de ce qu’est mon mal de tête lui est barré. Autrement dit, prendre connaissance d’un état physique, n’est pas prendre connaissance de la douleur. On peut donc dire qu’une caractéristique intrinsèque forme la part essentielle de la douleur que je ressens. Cette caractéristique intrinsèque se traduit par une immédiateté et une infaillibilité. Immédiateté en raison de son caractère vécu. Infaillibilité en raison de l’impossibilité de pouvoir se tromper quant à cette douleur. C’est-à-dire, si vous croyez que vous éprouvez une douleur alors il s’ensuit que vous êtes dans un état de douleur et si vous croyez que vous ne ressentez pas de douleur, alors vous n’êtes pas dans un état de douleur. Il est donc impossible d’avoir des fausses croyances quant à vos douleurs. En ce sens votre connaissance est infaillible. Les douleurs psycho somatiques sont néanmoins des douleurs même si on ne détecte pas les conditions physiques. Autrement dit, même si les conditions physiques ne sont pas réunies, si je crois que j’ai une douleur cela implique que c’est vrai que j’ai une douleur. Ce point de vue va partiellement à l’encontre du point de vue de Wittgenstein.

  11. Serge Adam dit :

    Merci pour votre remarque monsieur Loth.
    Mais en quoi ce que vous dites va « partiellement » à l’encontre de Wittgenstein? Je me demande si vous avez visé juste…
    Extrait des Investigations philosophiques, &246: « En quel sens mes snesations sont-elles dès lors intimes? Eh bien, il n’y a que moi qui puisse savoir si je souffre réellement; une autre personne pourra seulement s’en douter. En un sens cela est faux, et en un autre absurde. Si nous employons le mot « savoir » comme on l’emploie normalement ( et comment l’emploierions-nous!) c’est donc que d’autres personnes savent très souvent que je souffre. Oui, mais tout de même pas avec la même certitude que j’ai moi-même, le sachant! On ne peut absolument pas dire (sauf peut-être en plaisantant) que je sais que je souffre. Qu’est-ce que cela veut dire- hormis le cas, peut-être, que je suis en train de souffrir?
    On ne peut pas dire que les autres n’apprennent mes snesations que par mon comportement-car on ne peut pas dire que, pour ma part, je les apprends. Je les ai.
    La vérité est: qu’il y a un sens à dire des autres qu’ils doutent si je souffre; mais non à le dire quant à moi-même. »

    J’ai encore besoin d’éclaircissement là-dessus monsieur Loth, mais on voit clairement que Wittgenstein n’a nullement l’intention de mettre la première personne à la troisième, si vous me permettez l’expression.
    On voit que Wittgenstein s’oppose aux oppositions traditionnelles du dualisme cartésien avec ses connaissances directes et indirectes. Pour Wittgenstein il n’y a pas ce genre de connaissances.
    Je crois qu’il veut dire que pour moi, quand je souffre, je ne peux dire « je sais que je souffre » donc a forceriori pas de connaissance directe ou indirecte. Et si tu souffres, ma connaissance de ta souffrance n’est pas la forme d’une inférence, je ne conclus pas que tu souffres, je le vois. Wittgenstein veut-il dire par là que les comportement de ouch, ouille et autres sont des critères de la douleur et non des symptômes?
    Si qqun réplique:  » tout de même je ne peux voir ta douleur, seulement les comportements qui l’expriment » cela revient à dire que je ne peux voir les sons ou entendre les couleurs.

    J’aimerais bien connaître vos réactions là-dessus.

  12. Francois Loth dit :

    Ce que veut dire Wittgenstein, est que si nous considérons nos sensations comme des choses se produisant à l’intérieur de nous, de façon analogue aux événements que nous percevons à l’extérieur et dont la connaissance s’effectue sur la base de notre propre cas, alors l’objet interne n’est pas pertinent.

    Quoi qu’il y ait dans la boîte, il y existe une nature qualitative intrinsèque. Cependant, selon l’analogie du scarabée, cette nature est non pertinente dans la mesure ou la boîte contiendrait un « scarabée en tant que scarabée », c’est-à-dire, considéré comme seulement un scarabée.

    Pour résumer, les termes mentaux ne doivent pas être utlisés pour désigner des entités comme Descartes nous a conduit à la faire. Par exemple, l’état que vous désignez par « l’expérience que j’ai quand je vois un objet rouge » qualitativement est assorti à l’état que je désigne quand j’utilise la même expression. Ce que dit Wittgenstein, c’est que la question qui consiste à se demander si l’état que nous désignons en commun est le même, est un non-sens.

    Oui, vous avez raison. Ce que veut discuter Wittgenstein, c’est l’usage du terme « savoir ».

    Cependant, ce que suggère également Wittgenstein est que les termes utilisés pour attribuer les états d’esprit ne le sont pas pour désigner des sortes d’objets ou d’épisodes mentaux. Cette suggestion pourrait nous conduire à penser que avoir un mal de tête pourrait être seulement une manière de se comporter ou d’être disposé à se comporter. Si c’était le cas, alors on ne rendrait pas compte de la dimension qualitative des états d’esprit. Peut-être est-le sens qu’il faut entendre par l’usage du terme « partiellement » fait dans votre réponse. Bref, je veux dire que, si nous dérivons de l’expérience de Wittgenstein une analyse béhavioriste du mental, cette dernière échoue à rendre compte des aspects qualitatifs de nos expériences.

  13. Serge dit :

    Merci pour votre réponse.
    « Une analyse béhavioriste du mental(…) échoue à rendre compte des aspects qualitatifs de nos expériences. »
    Une analyse béhavioriste du langage du mental vous voulez dire. Mais exiger l’impossible du langage, est-ce raisonnable?

  14. Francois Loth dit :

    Que voulez-vous dire par l’exigence de l’impossible du langage ?

    Si vous voulez dire que ce n’est pas par l’exploration du langage que nous pouvons rendre compte des propriétés de l’esprit, je suis d’accord avec vous.

  15. Serge dit :

    Par exiger l’impossible du langage je voulais tout simplement dire ce que vous montriez: le langage ne peut servir à dévoiler ce qui est à l’intérieur de la boîte.

  16. LEMOINE dit :

    Je ne partage pas votre point de vue (et celui de Wittgenstein) sur le caractère particulier ou intrinsèque des états mentaux. Je pense au contraire que nos sentiments, nos idées et même l’essentiel de nos sensations n’existent que par et pour les autres. Je peux en témoigner par mon expérience.

    Adolescent, j’ai eu la chance d’avoir une amie qui me fascinait. Nous passions des heures entières, des journées complètes à bavarder ; ou plutôt je l’écoutais et elle parlait ; elle parlait d’elle-même, de ses joies, de ses peines, de ce qu’elle aimait et n’aimait pas, de ses enthousiasmes et de ses craintes ; et moi, j’écoutais car je n’avais rien à dire, je ne savais rien dire, je ne connaissais rien de tout cela. Dans ma famille, cela ne se faisait pas d’étaler ses sentiments (on ne s’embrassait pas). Tout cela était considéré comme une marque de faiblesse. Et puis j’avais passé plusieurs années dans un pensionnat (le seul en France qui appliquait à la lettre le règlement donné par Napoléon !) dont les méthodes étaient plutôt directes !

    J’étais donc comme une terre en friche, comme quelqu’un qui ne voyait pas les couleurs. Ce n’est qu’à force de conversations, par la fascination qu’elle exerçait sur moi que mon amie m’a permis de dépasser mes réactions frustes, d’avoir et de pouvoir vivre et partager des sentiments. C’est la force de son ascendant sur moi, son charme qui m’ont ouvert à une vie de sentiments, d’idées qui m’étaient jusque là étrangères.

    On ne peut pas dire que ces sentiments que j’ai appris à vivre et à partager étaient déjà là ; non, j’étais seulement capable de douleur, de joie mais dans une forme brute que trois mots suffisaient à dire. Car un sentiment qu’on ne sait pas dire, ou une idée qu’on ne sait pas exprimer ne sont pas là, ils n’existent pas.
    La douleur elle-même quand personne ne l’écoute n’a pas de valeur, elle ne compte pas. Dans le pensionnat où j’étais les punitions consistaient en coups, en privation de sommeil, en marches forcées mais c’était sans effet pour les plus endurcis. Un coup pris, on je songeais qu’à le rendre, c’est tout. Personne ne s’attardait à ressentir.

  17. Francois Loth dit :

    Réponse à Mr Lemoine.

    Oui on nous apprend à mettre un nom sur nos états mentaux.

    Vous dites une chose très intéressante : « j’étais comme quelqu’un qui ne voyait pas les couleurs ». Ce ne serait donc pas, selon vous, le contact avec une rose rouge qui vous fait voir ce rouge, mais une certaine explication vous permettant de discriminer ce rouge parmi d’autres couleurs ? Et si on vous apprenait, dans un monde exclusivement noir et blanc, que le rouge existe, mais que vous ne puissiez pas en faire l’expérience. Pensez-vous que cela pourrait remplacer l’expérience qui consiste à voir ce rouge ?

    L’analyse de Wittgenstein peut se préciser de la façon suivante :

    Soit trois énoncés :

    i) « Je peux savoir que j’éprouve une douleur quand j’ai une douleur ». Cela n’a pas de sens.

    ii) « Les autres ne peuvent pas savoir que j’éprouve une douleur quand j’ai une douleur ». Cela est faux.

    iii) « Je suis le seul à pouvoir faire mes expériences ». Simple vérité grammaticale.

  18. philalèthe dit :

    Pour ceux qui ne le connaîtraient pas, je signale le chapitre VII de Lire les Recherches Philosophiques (sous la direction de Laugier et Chauviré Vrin 2006). Il commente (très rapidement: ce n’est pas du Hacker !) les paragraphes 244 à 317 des Recherches et s’intitule: « La douleur: ni quelque chose ni un rien ».

    Ceci dit, je voudrais discuter la thèse selon laquelle on ne peut se tromper qu’en relation avec la douleur d’autrui mais pas avec la sienne propre. En effet dans certaines conditions, des énoncés comme entre autres (1) « je crois avoir mal mais en fait je n’ai pas mal » (plus facile à justifier peut-être sous la forme « je croyais avoir mal mais je n’avais pas mal ») ou (2) « je ne sais pas si j’ai vraiment mal » sont sensés. Les conditions de (1) sont: une sensation gênante qu’on est porté à appeler douleur mais qu’en comparant à des douleurs fortes du passé on ne juge pas assez intense pour mériter le nom de douleur. A cette occasion d’ailleurs, on réalise que si on hésite, c’est en relation avec l’apprentissage qu’on a reçu relativement à l’usage de l’expression (on nous disait par exemple : « es-tu sûr que tu as vraiment mal ? Tu sais quand on a mal réellement, il se passe ceci et cela etc. »). Les conditions de (2) sont par exemple une extrême anxiété qui pousse à anticiper la douleur alors qu’on craint seulement de la ressentir etc.
    Il me semble donc que c’est sensé de dire dans certains contextes qu’on peut savoir qu’on a mal, qu’on ne se trompe pas (je ne prends pas le contexte dans lequel ces phrases sont une accusation plaintive adressée à des autres trop indifférents à nos yeux) : il va tout de même de soi qu’alors la douleur n’est jamais forte (un énoncé comme « J’avais très mal mais je ne le savais pas » est insensé – même si avec un peu d’imagination on devrait pouvoir trouver un contexte le rendant sensé) et qu’on « s’observe » (au fond je me réfère au jeu de langage des hypocondriaques), qu’on compare etc. On dira peut-être qu’il ne peut y avoir de savoir proprement dit que s’il est confirmé par autrui (sinon comment suis-je sûr que je ne me trompe pas ?). Je pense en effet qu’une telle confirmation est possible, non parce qu’autrui imagine, telle qu’elle est, ma douleur intérieure en tant qu’objet privé (une telle entité est exclue dans le cadre wittgensteinien dans lequel je me situe actuellement) mais parce qu’il ratifie mes dires à partir de ses observations (« oui, tu as raison, quand tu as mal, tu ne m’écoutes plus » etc).

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