Le physicalisme selon Jaegwon Kim

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images.jpg Le physicalisme est une thèse que l’on peut résumer ainsi : tout ce qui est réel est, en un certain sens, réellement physique. Jaegwon Kim dans son dernier ouvrage (Physicalism or Something near Enough, 2005) décrit ainsi la thèse physicaliste :

Ce que contient le monde est saturé par la matière. Les choses matérielles sont toutes les choses qui existent ; il n’y a rien à l’intérieur du monde dans l’espace/temps qui ne soit pas matériel, et bien sur, il n’y a rien en dehors de lui, qui le soit. Le monde de l’espace/temps est le monde dans son entier, et les choses matérielles, les éléments de matière et les structures complexes qui le constitue, sont ses seuls habitants. (2005, p. 150)

Dans un précédent billet, sommairement la distinction standard entre les états qualitatifs (qualia) et les états intentionnels a été présentée. Les états qualitatifs possèdent des propriétés phénoménales qui ne sont accessibles que de manière introspective. Eprouver une douleur est typiquement l’un de ces états. Les états intentionnels quant à eux, sont appelés depuis Russell, « attitudes propositionnelles ». Ils sont ainsi nommés parce qu’ils sont des attributions d’un certain contenu à une attitude, exprimée par un verbe l’énonçant, comme « croire », « vouloir », « espérer » etc.

La conclusion la plus remarquable peut-être dans le dernier livre de Kim, que David Chalmers dans son blog qualifie de position dualiste, est que Kim adhère à la thèse de l’épiphénomisme au sujet des qualia. C’est-à-dire, qu’il pense que les propriétés phénoménales de nos états mentaux sont causées par nos états cérébraux, mais que ces propriétés ne sont pas pertinentes dans la causation d’un événement physique. Selon Kim, pour que la propriété d’un état mental puisse être pertinente dans la causation d’un événement physique, elle doit être réductible à une propriété physique. Si un état mental est fonctionnalisable, selon Kim on peut le réduire. Les qualia ne sont pas fonctionnalisables. Ainsi le sens de l’expression « Near Enough » s’explique : le physicalisme serait probablement vrai pour les attitudes propositionnelles, parce que l’on pourrait y appliquer une réduction, mais serait faux pour les propriétés phénoménales. Kim conclut :

Ainsi les qualia ne sont pas fonctionnalisables et sont donc physiquement irréductibles. Les qualia par conséquent, forment le « résidu mental » qui ne peut être accommodé à l’intérieur du domaine physique. Cela signifie qu’un physicalisme global est intenable. (p. 170)


Le problème est qu’un « résidu mental », comme la sensation de douleur est un des exemples les plus utilisés montrant l’efficacité causale du mental. Kim tente une justification de cette thèse contre intuitive ici.

7 Responses to Le physicalisme selon Jaegwon Kim

  1. Philalethe dit :

    Votre billet m’inspire quelques interrogations:
    1) la structure de la matière étant feuilletée pour reprendre une expression,que je trouve heureuse,de J-M Lévy-Leblond (De la matière relativiste, quantique, interactive Seuil 2004) Kim précise-t-il le niveau d’organisation auquel il se réfère ? Pour prendre deux extrêmes, le cerveau est-il pensé comme matière vivante et/ou comme matière quantique ? Je veux ainsi mettre en évidence que la conception de la matière à la lumière de la physique contemporaine étant si contre-intuitive, le physicalisme éliminativiste ( mais je crois comprendre que Kim n’est pas éliminativiste à cause de l’irréductibilité des qualia) bute sur la complexité extrême du concept de matière.
    2) pouvez-vous clarifier la thèse: « les qualia ne sont pas fonctionnalisables » ? Est-ce indéfendable de parler d’une fonction de la douleur ?
    3) Si les qualia n’ont pas de pouvoirs causaux, puis-je en conclure que si je dis « j’ai pris de l’aspirine parce que j’avais mal à la tête », je ne présente pas une cause de mon comportement de prise d’un médicament, mais une raison subjective qui ne me met fait pas du tout connaître ce que je suis du point de vue de nulle part ? En toute rigueur ce serait donc faux de penser que la douleur fait crier par exemple.
    Merci de bien vouloir prêter attention à mes perplexités.

  2. Francois Loth dit :

    La question de la réalité qui serait stratifée par niveaux est une question ontologique sérieuse. Le monisme ontologique consiste à admettre que les entités du niveau supérieur sont en un certain sens dépendantes ou déterminées par leurs propriétés de niveau inférieur. En effet, les entités appartenant à un niveau donné sont supposées être caractérisées par des propriétés distinctes de ce niveau. La conductivité électrique par exemple est située au niveau moléculaire, d’autres fonctions comme la reproduction sont des propriétés que l’on rencontre au niveau cellulaire, etc. Les propriétés mentales quant à elles ne se trouvent qu’au niveau élevé des organismes supérieurs.
    La question, qui se pose à la thèse standard du physicalisme non réductible, consiste à se demander comment les propriétés de niveau supérieur peuvent-elles être reliées aux propriétés des niveaux inférieurs ? Comment par exemple, les propriétés mentales de la conscience peuvent-elles être reliées aux propriétés neurobiologiques de l’étage inférieur ?
    La question que se pose Kim est celle de savoir si une propriété est ou non fonctionnalisable, c’est-à-dire, si une propriété peut être carctérisée en terme de rôle causal. Les qualia ne le sont pas (Levine 1993, Chalmers 1996). Eprouver une douleur particulière n’est pas pour Kim réductible à un certain état neural. On peut considérer que la corrélation que nous pourrions trouver entre une qualité phénoménale et une propriété neurale soit une sorte de fait brut ne pouvant recevoir d’explications supplémentaires.
    Quant aux pouvoirs causaux des propriétés de la conscience, dans la mesure ou la causation n’est concevable qu’à l’intérieur du domaine physique et que les propriétés de la conscience sont pour Kim irréductibles, celles-ci sont préemptées par les propriétés qui les réalisent.
    La douleur fait-elle crier ? Oui bien sur que la douleur fait crier. La question à éclaircir est le statut ontologique de cette « douleur »
    Ce qui est sur, c’est que lorsque je veux calmer une douleur, je dois intervenir, sur la base neurale réalisatrice de cette douleur.

  3. fati dit :

    Bj,

    Intuitivement je pense que douleur est le nom de la sensation qu’on a de l’etat neuronal (de douleur). pouriiez vous me dire svp pour quoi on ne peut pas reduire la douleur à « son »etat neuronal? merci

  4. Francois Loth dit :

    Bonjour,

    La douleur est un état de conscience qui est ressenti d’une façon qualitative précise: ça fait mal ! C’est une expérience que je ressens en première personne. Par contre si je parviens à observer votre cerveau au moment même où vous ressentez cette douleur, je localiserai peut-être l’état neuronal que je pourrai corréler à cette sensation de douleur. Néanmoins, cet état de votre cerveau ne sera doté que de certaines propriétés physiques. La propriété d’éprouvée une douleur n’est pas observable en troisième personne. Cela constitue pour la thèse philosophique dite du « physicalisme non réductible » une raison de ne pas réduire la douleur à un état neuronal.

    Reste qu’une thèse philosophique différente peut affirmer qu’il y a une parfaite identité entre la propriété d’être une douleur et la propriété physique neuronale à laquelle elle n’est plus corrélée (car la corrélation implique qu’il existe deux instances de propriétés) puisqu’elle est identique. Cependant cette thèse de l’identité doit rendre compte de cette propriété en première personne…

  5. fatemeh dit :

    Bonjour,
    Merci pour votre réponse. On peut dire il y a des conditions nécessaires et suffisantes pour la douleur. Mais, Donc vous attribuez le mot « douleur » plus (sinon exclusivement) à cette experience qualitative qu’à un état cerebral qui lui correpsonderait. Faut-il trouver un autre mot ou nom pour designer l’état neuronal correspondant? Du point de vu logique, ce mot ou nom peut désigner une chose physique et un objet (non physique, qualia)?
    Dans « la théorie de l’objet » (théorie ontologique ) de Meinong, que je copie ci-dessous:

    Meinong distingue quatre classes d’objets :

    * l’objectité (Objekt), qui peut être réelle (comme la note d’une mélodie) ou idéale (comme les notions de différence, d’identité, etc.) ;
    * l’objectif (Objektiv), par exemple l’affirmation d’un être (Sein) ou d’un non-être (Nichtsein), d’un être-tel (Sosein), ou d’un être-avec (Mitsein) — esquissant ainsi les jugements d’être, catégorique et hypothétique ;
    * le dignitatif, par exemple le vrai, le beau, le bien ;
    * le désidératif, par exemple le devoir, la fin.

    À ces quatre classes d’objets correspondent quatre activités psychiques :

    * la représentation (das Vorstellen), pour l’objectité ;
    * la pensée (das Denken), pour l’objectif ;
    * le sentir (das Fühlen), pour le dignitatif ;
    * le désir (das Begehren), pour le désidératif.

    Chaque vécu est relié à un type d’objet. (fin )

    suite de la question: est ce que la douleur est un objet de type dignitatif? pour quoi? je pense qu’il faut lui trouver un typologie d’objet au moins comme preuve de son existence.

    Autre question: vous connaissez la raillerie de G. Ryle à propos de ce qui attendent à ce qu’il y ait une chose et en outre observable comme l’université. (en discutant existence des substances non observables mais causales de R. Descartes comme sa réaction religieuse à la physique newtonienne). quelle est la différence entre conscience ou l’expérience d’un objet comme l’université et la conscience de la douleur?

    une discussion:

    Si on dit « l’université est ces bâtiments » et si on dit « l’université est ses bâtiments. » n’est pas la même chose. dans le deuxième cas, on reconnait que même si l’université n’est pas une chose, néanmoins il est un objet. et comme il est un objet, il a un nom pour le designer. mais si on dit l’université est ces bâtiments, ne change rien non plus car l’université comme objet et donc nécessitant un nom existe toujours et ne désigne rien d’autre que ces bâtiments avec une organisation et des fonctions. maintenant, il faut dire que l’université a une réalisation multiple. Ces fonctions ou les propriété qu’on appelle l’objet université , sont indépendant de ces bâtiments. On peut réaliser l’université ailleurs, par exemple, dans plusieurs étages d’un immeuble, dans un stade sportif etc. Donc l’université n’est pas une propriété qui dépende d’une structure ou une forme donné de bâtiments. Ce qui importe est une fonction ( transmission du savoir, la recherche, des rôles ou des statut d’élèves, d’enseignants, etc) . L’université est un objet-fonction. certes, on n’a besoin d’un lieu, un espace pour réaliser une fonction mais, ici, il n’est pas aisé de dire que cette fonction émerge ou survienne sur ces bâtiments ou cet espace quelconque. Il semble que la fonction de l’université peut précéder mémé la notion de sa base spéciale. on conçoit notion de l’université puis on cherche un lieu qui la réalise. (il est évident que certaine forme spatiale permet une réalisation ad hoc que d’autres. Mais si la fonction influence et commande la conception architecturale de l’université, l’architecture ne va pas logiquement, pour autant, porter atteinte à ce qui doit être ou est la fonction-université ). En résumé, dans l’ordre,on a une fonction, un nom qui le désigne et puis un espace. mais du point de vu historique , évolutionnisme ou encore un point de vu physicaliste, on peut inverser cet ordre, et dire : non, o a d’abord modification génétique, physique donc et ça donne ce que ça donne comme fonction (et comme propriété. ceci est difficile à concevoir car imaginer qu’idée d’université n’est pas préalable mais cette fonction émerge ou se produit d’un assemblement hasardeux des localités et des personnes qui deviennent par la force des choses physique, des élèves, des enseignants etc. (je ne dis pas impossible mais demande un effort pour le concevoir).
    Maintenant, il est évident que les livres, stylos, élèves et enseignants et les leçons (audio-visuel) sont aussi des choses physiques et donc observable. Mais pour autant ils n’épuisent pas la notion de l’université. car ce qu’il y a en plus est effectivement les expériences qualitatives et conscients des êtres humains de ce que c’est aussi l’université. et ceci n’est pas observable comme une organisation n’est pas observable.

  6. fatemeh dit :

    comment comprendre ensemble « tout ce qui est réel est réellement physique » et « tout ce qui est réel est logique et tout ce qui est logique est réel »?
    * tout ce qui est dans le monde est dans l’espace -temps et donc physique. OK. qu’est ce que le monde? si on dit le monde est la localisation de l’être ,on peut dire qu’être est une chose qui ne s’épuise pas à une localité.
    est-ce que les relations ou la forme pour Kim sont des choses physique?(si on défini un objet tel que le beau comme un ensemble de relation ou une forme ).

  7. fatemeh dit :

    Il faut finir avec l’introspection. Même les analytiques ont cessé de dénigrer ainsi les phénoménologues. Il n’ y a pas d’introspection. toute pensée se rapporte à des choses du monde . pour demander la vérité ou la fausseté d’une énoncé ou une proposition, on ne le demande pas à notre mind mais on se réfère au monde pour voir si dans le monde un tell proposition est vraie ou fausse. le discours de troisième personne n’est pas une introspection. personnellement, je suis pas pour la RTM et pour le réalisme direct qui n’est pas le réalisme naïve.

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